Le 16 août dernier, après un an de tergiversations, le musée archéologique Gustavo Le Paige a fermé ses portes, pour une durée minimale de 2 ans. En cause : l'avancement du projet "Nuevo Museo" censé offrir un écrin digne de ce nom à la collection archéologique réunie dans les années 60 et 70 par le père Gustave Le Paige.

 

Cela faisait environ 10 ans que le projet de la construction d'un nouveau musée archéologique à San Pedro d'Atacama était dans les cartons. En 2013, le projet et le budget de plus 17 milions d'euros ayant été validés, la Présidente du Conseil National des Arts et de la Culture s'était déplacée en personne pour inaugurer le lancement du processus à grand renfort de discours, de cérémonie ancestrale et d'interludes musicaux. 

La fermeture du musée initialement prévue en novembre 2014 avait été plusieurs fois reculée pour cause de retards dans les premières étapes du processus, à savoir, l'emballage de la collection, et son déplacement dans les bâtiments construits à cet effet. Finalement le 10 août dernier, la fermeture ferme et définitive a été annoncée pour la semaine suivante.

Fermeture du musée archéologique de San Pedro d'Atacama

 

Le musée Le Paige : monument historique ?

Cette annonce n'a pas manqué de provoquer de nombreuses réactions dans le petit village. Si tout le monde s'accorde sur la nécessité de construire un musée plus solide pour protéger la collection archéologique la plus grande du Chili et de remplacer une exposition vieillotte par une exposition plus moderne et en adéquation avec ce qu'est la culture atacamène aujourd'hui, c'est finalement la destruction du musée actuel pour faire place nette à ce projet pharaonique qui pose problème.

El Reverente Padre Gustavo Le Paige señor jesuita

El Reverente Padre Gustavo Le Paige señor jesuita

 

Sa construction a commencé en 1962, à l'initiative du père jésuite belge Gustave Le Paige, alors curé du village, un peu à l'étroit dans la maison paroissiale pour montrer aux visiteurs ses trouvailles archéologiques. La première rotonde du musée, inaugurée en 1963 avait donc pour objectif d'exposer aux curieux (rares à l'époque à s'aventurer dans le très isolé oasis de San Pedro) les preuves de l'existence de l'ethnie préhispanique qui s'était épanouie dans la région : l'ethnie atacamène. Les 2 autres rotondes, qui forment aujourd'hui l'ensemble musée et institut de recherches, ont toutes été construites sous sa direction par les habitants du village.

Et c'est là que le problème se pose : ce bâtiment a été construit par les habitants du village, il est visité par environ 50 000 personnes par an, il représente l'héritage du padre Le Paige et symbolise à lui tout seul le titre de "Capitale archéologique du Chili" que s'est octroyée la commune.

Certains ont bien essayé de faire annuler le projet en tentant de faire classer le batiment "Monument National Historique du Chili" : sans succès. D'autres ont proposés de construire le nouveau musée ailleurs et de conserver l'édifice actuel pour un autre usage : là encore, le projet ayant été validé par l'état, plus question de le modifier.

Le padre Le Paige et les premiers touristes étrangers à San Pedro de Atacama devant le musée

Le padre Le Paige et les premiers touristes étrangers à San Pedro de Atacama devant le musée

 

Un projet très couteux mais au bénéfice de qui ?

A sa mort, le Padre Le Paige a légué sa collection à l'Etat chilien, mais la gestion de celle-ci devait être assurée par l'Université Catholique du Nord (UCN, université privée, basée à Antofagasta, qui avait financé en grande partie la construction du musée et qui s'était associé aux études scientifiques du padre).

Dès la mort du Padre, les malentendus, la désinformation (de la part de certains membres de la comunauté locale indigène) et le manque de communication (de la part de la UCN) ont créé de nombreuses tensions sur à peu près tous les sujets : l'exposition de restes humains, le bénéfice des tickets d'entrée et des spéculations plus ou moins hasardeuses à propos de ce que les scientifiques faisaient avec la collection.

Justifiée ou pas, la défiance vis à vis de la UCN n'a cessé de s'accroitre au fil des années, au point qu'au début des années 2000 des actions violentes avaient été menées contre le musée. En 2007 toutefois, une table ronde avait permis de se mettre d'accord sur le retrait des restes humains de l'exposition, respectant ainsi une des principales demandes de la comunauté.

Depuis, le dialogue, même s'il est simulé de part et d'autre, ne mène à vrai dire jamais à grand chose.

Corps momifié exposé jusqu'en mai 2007 dans le musée Le Paige

Corps momifié exposé jusqu'en mai 2007 dans le musée Le Paige

 

Avec la concrétisation du projet de futur musée, de nouveau, des voix s'élèvent pour contester la gestion par la UCN de la collection Le Paige.

Rappellons que plus de 10 milles millions de pesos chiliens ont été attribués pour la démolition de l'édifice actuel et la construction du nouveau. 

Pour la communauté indigène, c'est bien simple, ce sont des milliards de pesos qui ont été donné à une université privée pour lui permettre de se faire encore plus de sous en exploitant le patrimoine local.

Pour la UCN, c'est l'État, propriétaire de la collection, qui met les moyens pour que cette collection soit conservée dans de bonnes conditions et exposée au public de manière respectueuse.

Le débat étant au point mort depuis plusieurs mois, il a été décidé que le futur musée serait géré par une fondation, comptant des représentants de la UCN, de la région, de la commune et de la communauté locale indigène. Pour le moment, cette option ne convient pas à la communauté locale qui manifestait encore il y a quelques jours pour que le prochain musée soit intégralement géré par la seule communauté.

 

Mais là encore un problème de taille se pose : à ce jour, la communauté atacamène ne compte pas dans ses rangs de personnels qualifiés pour assurer la bonne conservation et la valoration de ce patrimoine archéologique... 

L'Université, qui est pourtant depuis longtemps solicitée par la comunauté indigène pour remédier à ce problème, n'a pas fait beaucoup d'efforts dans ce sens, et le système universitaire étant ce qu'il est au Chili, la situation n'est pas près d'évoluer.

La première exposition archéologique à San Pedro d'Atacama

La première exposition archéologique à San Pedro d'Atacama

 

Et les gens dans tout ça ?

Au milieu des discussions entre la communauté locale indigène et l'Université Catholique du Nord, il y a quand même un aspect qui est très peu souvent évoqué à propos de la fermeture du musée : les gens...

Le projet du nouveau musée ayant été pensé par un conservateur pour la conservation de la collection, le facteur humain a été quelque peu oublié en chemin.

Quid du personel du musée ? Des touristes nationaux et étrangers qui souhaitent en savoir plus sur l'histoire précolombienne du territoire atacamène ? Des guides de tourisme soucieux de se former pour délivrer une information de qualité aux visiteurs ? Des élèves du collège et du lycée et des membres de la communauté désireux de compléter leurs connaisances sur leur propre histoire ?

 

Depuis la validation du projet, le personel du musée a perdu plus de 60 % de ses effectifs (postes non-renouvelés, départs anticipés à la retraite, licenciements). Il ne reste à ce jour que 10 employés. 

Au milieu de ce grand ménage, un département en particulier est emblématique pour nous aider à répondre à la question posée plus haut : le département extension qui comprenait les services de Relations avec la communauté, Education et Diffusion patrimoniale (en charge des formations demandées par la comunauté locale, des visites guidées, des activités avec les scolaires et le public général et des formations pour les guides de tourisme) qui a compté, à une époque, jusqu'à 4 fonctionnaires, aujourd'hui n'existe plus.

Pendant le temps des travaux donc, le musée sera aux abonnés absents en terme de diffusion et de valorisation du patrimoine atacamène.

 

Panoramique de l'actuelle exposition publique. Photo : www.panoramio.com par Patricio Cabezas

Panoramique de l'actuelle exposition publique. Photo : www.panoramio.com par Patricio Cabezas

 

Comment en savoir plus sur l'histoire précolombienne atacamène ?

Un vague projet d'exposition temporaire, dans l'édifice provisoire construit pour accueillir la collection le temps des travaux, a été évoqué : malheureusement cette idée n'ayant pas été intégrée dans le projet initial et donc dans son budget, il n'y a pour l'instant pas d'argent pour la financer.

Que faire en attendant la réouverture du musée pour en savoir plus sur l'histoire préhispanique de la région ?

Quelques agences du village proposent "le tour archéologique", c'est à dire une demi-journée de visites sur les sites archéologiques à proximité du village (l'aldea de Tulor, le Puckara de Quitor et parfois le tambo de Catarpe ou les ruines de Beter). Cette option peut être très interessante, à condition bien sûr d'être accompagné d'un guide qui s'est un peu renseigné sur le sujet et qui saura donné vie aux ruines - pas vraiment monumentales - que vous parcourrez.

 

L'autre option pour vous, chers lecteurs, est de vous plonger dans la lecture des premiers épisodes de notre série, toujours en cours de rédaction, dédiée à l'histoire atacamène.

 

Mise à jour (septembre 2018) :

A l'heure où nous écrivons cette mise à jour, le nouveau musée archéologique de San Pedro d'Atacama n'existe toujours pas. Plus de 3 ans après la fermeture de l'ancien musée, celui-ci n'est toujours pas détruit entièrement et la construction du nouveau musée n'a donc pas encore commencé. La faute à un problème de droit de propriété du terrain où doit être construit le nouveau projet... Une histoire aberrante qui prive San Pedro d'Atacama (soit-disant capitale archéologique du Chili) de son musée, et ce pour un certain nombre d'années encore...
En décembre 2017, l'Université Catholique du Nord (en charge du musée) décide d'ouvrir un musée provisoire avec accès public, au même endroit où sont stockées les 360.000 pièces archéologiques de la collection.
L'ancien musée à moitié détruit (photo : BioBioChile)

L'ancien musée à moitié détruit (photo : BioBioChile)

 

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Tag(s) : #Actualités, #Sites touristiques San Pedro, #Histoire

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