Fuerza Valparaiso ! [Les collines de Valparaiso en flammes]

Retour sur la catastrophe

Le 12 avril dernier s'est déclaré l'incendie le plus importante de l'histoire de la ville portuaire chilienne Valparaiso. Parti des hauteurs de la ville [secteur camino La Pólvora] dans l'après midi, le feu s'est vite propagé et a atteint les premières habitations quelques heures après son déclenchement, aidé par des vents de 70 km/h. Les premières images qui nous parviennent alors sont impressionnantes. La ville, accrochée aux collines entre le pacifique et la cordillère de la côte, brûle dans ses hauteurs, les hautes flammes semblent touchées le ciel...

 

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Rapidement, l'état d'alerte rouge et "d'exception constitutionnel" sont déclarés et permettent au gouvernement de Michelle Bachelet de faire appel aux forces armées pour sécuriser la ville et venir en aide aux sinistrés. 10 jours après le tremblement de terre qu'a subit le nord du pays, c'est une nouvelle catastrophe d'envergure qui vient mettre à l'épreuve la toute nouvelle administration présidentielle, en place depuis un peu plus d'un mois.

2ème ville du pays en termes de population (environ 300.000 personnes), poumon économique portuaire et berceau artistique et culturel, Valparaiso est aussi le lieu d'installation de grandes représentations nationales : le Congrès Chilien et le commandement de la marine nationale. Son centre historique (partie basse de la ville) est classé au patrimoine culturel de l'humanité depuis 2003 (UNESCO).

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Commandement de la marine chilienne.

 

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Les collines de Valparaiso

 

94% des habitants de "Valpo" vivent sur l'une des 44 collines de la ville. Ses multiples escaliers, ses petites ruelles à pic, son puzzle de maisons en "équilibre" et ses 15 ascenseurs publics participent indéniablement au charme de la ville. L'investissement dans l'activité portuaire a fait de cette ville-baie un point de passage important dans les échanges commerciaux de l'océan pacifique. Mais avec l'ouverture du canal de Panama en 1914, la "perle du pacifique" perdit de son éclat commercial et le déclin de l'activité portuaire appauvrit la ville, qui poursuit tout de même son ascension urbaine des collines, avec le développement de quartiers populaires sur les hauteurs de la ville...

 

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Valparaiso au début du XXème siècle.

 

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Valparaiso aujourd'hui.

 

 

Les causes de l'incendie, les raisons de la colère populaire.

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"Quel symbole..... La pauvreté en flammes... Et la masse indifférente !!! Voici le Chili d'aujourd'hui".

Sur la photo :

1er plan : les quartiers bas et riches de la ville et leurs beaux immeubles

2eme plan : les collines des quartiers populaires qui brûlent.

 

Cette urbanisation "chaotiquo-verticale" et cet enchevêtrement de constructions adossées les unes aux autres ont largement contribué au bilan catastrophique de l'incendie : des ruelles étroites et escaliers compliquant l'accès des pompiers et secours, des habitations vétustes faites de quelques planches de bois, un système d'alimentation en eau défaillant dans les hauteurs de la ville ne permettant pas aux habitants d'éteindre eux-mêmes les plus petits foyers de l'incendie et limiter son avancé dans certains secteurs.

Ce sont finalement près de 2.900 maisons qui ont brûlé et 12.500 personnes qui se retrouvent sans domicile. A cela s'ajoutent la disparition de 800 hectares de végétation, 15 décès et 50 blessés.

Cette catastrophe met douloureusement en lumière le manque d'investissements publics pour améliorer les conditions de vie des quartiers populaires, mais également le manque de moyens des "bomberos" (les pompiers). Il faut savoir qu'au Chili tous les pompiers sont "volontaires" (et c'est d'ailleurs dans un sens une grande fierté nationale, une admiration partagée par les habitants pour ces hommes qui, en plus de leur travail principal, s'engagent comme pompier). Cependant, cela signifie que la mobilisation d'un grand nombre de ces pompiers peut mettre plus de temps que dans le cas de pompiers de métier. De plus à Valparaiso, la grande majorité des casernes de pompiers sont installées dans la partie basse de ville. L'incendie s'étant déclaré dans les collines, le temps d'intervention a été d'autant plus rallongé...

 

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Sur les raisons précises de ce départ de feu, c'est un peu la cacophonie entre les différentes institutions. Pour les carabineros (la police) qui fût l'une des premières sur le lieu, l'incendie aurait été déclenché par l'électrocution de 2 oiseaux de grande envergure (des Jotes) sur des lignes de moyenne tension, provoquant des étincelles qui, attisées par les vents forts, serait la source du départ de l'incendie.

De son côté la CONAF (l'organisme national chargé de la protection des espaces naturels au Chili), refûte la thèse de l'électrocution des deux animaux et déclare qu'il paraît peu probable que l'incendie n'est pas été déclenché par une action humaine... C'est d'ailleurs un garde forestier de la CONAF qui fût le premier à alerter les autorités lorsqu'il remarqua depuis sa tour de contrôle une colonne de fumée s'échappant de la forêt. L'autre témoin important des prémices de l'incendie est un garde du centre pénitencier proche, qui lui aussi depuis son mirador a pu voir les premières fumées. Certaines rumeurs disent d'ailleurs que les autorités auraient peut-être mobilisé beaucoup plus de pompiers et militaires pour limiter l'avancée des flammes vers ce centre pénitencier vers le sud, au détriment de la protection des hauts quartiers de la ville à l'ouest.

Il faudra finalement 10 jours aux 3.500 pompiers et volontaires pour venir à bout de l'incendie

 

Comme pour le séisme du 1er avril, c'est tout le pays qui se mobilise alors pour apporter son aide et son soutien à la ville : organisation d'évènements culturels pour lever des fonds, collecte de vêtements et couvertures, de denrées alimentaires... La solidarité à la chilienne est toujours impressionante à voir ; Comme si les chiliens savaient déjà que leur Etat ne serait pas en mesure de venir en aide à tout le monde (comme dans beaucoup d'endroit du monde...) et que c'est aussi à eux, en tant que compatriotes, de soutenir les habitants de Valparaiso.

 

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Cette solidarité chilienne, pillier culturel du pays, méritera à elle toute seule tout un article, tant on l'a trouve dans tous les domaines de la société, principalement à l'intérieur des classes populaires, mais aussi au plus haut niveau social lors de grands événements comme le Téléthon, et à plus petite envergure sur son lieu de travail, à l'échelle de son quartier. Une solidarité nécessaire pour quotidiennement pallier aux manquements d'une société du tout privé, de l'éducation à la santé... d'une économie à deux vitesses... Vaste débat. Reste toujours ces belles preuves d'humanité de la part des chiliens...

 

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Dessin de Osvaldo Rodríguez Musso

 

 

Après l'incendie : quelles conséquences à long terme ?

Il est en effet légitime au lendemain de l'incendie de se poser la question de ses conséquences sociales à long terme.

La présence militaire massive reste pour certains chiliens une image traumatisante, car il ne faut jamais oublier l'histoire moderne du Chili et le coup d'état militaire de 1973. Pour de nombreux chiliens des quartiers populaires, l'armée est encore aujourd'hui le symbole fort de cette trahison historique à la démocratie, et de l'injustice sociale du tout-privatisé. On sait notamment que la présidente Michelle Bachelet a parfois hésité (notamment lors du tremblement de terre de 2010 lors de son premier mandat) à faire appel aux dispositions de la constitution chilienne qui prévoit, en cas de catastrophe majeure, de faire appel à l'armée pour des missions de sécurisation, déblayage et secours aux victimes sur le territoire national.

 

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Quelques jours après la tragédie, voici qu'apparaissent les premiers scandales liés à la présence des militaires et les missions qui leurs sont confiées. On apprend par exemple qu'ils ont notamment été chargé par les autorités de "nettoyer", non pas uniquement les débris des zones sinistrées, mais également la partie basse de la ville, son centre historique et ses lieux touristiques, de ses occupants qui campaient sur différentes places et lieux publics, faute d'avoir un endroit où dormir après la destruction de leurs maisons. Aux dernières nouvelles, ces sans domiciles ont été relogés dans des hébergements d'urgence.


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Autre action des autorités qui a eu dû mal à passer auprès de l'opinion fût l'interdiction pour raisons sanitaires de certaines distributions associatives de vêtements venant des quatre coins du Chili. Sur ce thème, on a surtout assisté à un manque de communication et d'explications de la part des autorités qui ont l'obligation, pour ce type de don, de passer par un processus légale de désinfection des vêtements en question... Les mauvaises langues diront par la suite que ces vêtements auront profité à d'autres personnes qu'aux sinistrés. Rumeurs, rumeurs, ...

 

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L'incendie observé par satellite.

 

A plus long terme, la question l'avenir des habitants de ces quartiers et leur réappropriation par l'Etat et le secteur privé en inquiète plus d'un. En effet, la plupart des terrains où étaient installées ces maisons de fortune appartiennent à l'Etat. La majorité des habitants de ces terrains se sont installés dans le cadre d'un principe appelé la "toma". Ceci définit le fait que, pour pallier au manque de moyens alloués à la construction de logements sociaux par les autorités, l'Etat "autorise" dans certaines conditions (même si cela n'est pas toujours bien clair légalement) l'occupation de terrains n'appartenant pas un particulier ou une structure privée et l'auto-construction par des particuliers de maisons de fortune... Pour résumé, l'Etat ne finance pas (ou peu) de constructions sociales, mais ferme les yeux sur des installations précaires pour satisfaire aux besoins des populations les plus pauvres, dans les endroits où personne ne veut habiter...

 

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Campement au milieu des débris...

 

Entre l'époque où se sont installés ces habitants pauvres sur les hauteurs de Valparaiso et aujourd'hui, ces terrains et leur vue imprenable sur la baie ont fortement gagné en terme de valeur immobilière. La craindre de beaucoup d'habitants est donc que leur ancien terrain soit récupéré par l'Etat et vendu à des entreprises privées pour y développer des projets immobiliers. Et le discours des autorités est déjà tout préparé... Comme ces quartiers étaient réputés pour leur insalubrité et leur insécurité, tout ceci se fera dans le sens de l'amélioration de la ville et de ses quartiers sensibles. Généralement dans ces cas là, les anciens habitants deviennent rarement les futurs occupants des nouveaux logements de gamme supérieure. D'ailleurs, certains habitants qui ne voulaient pas quitter leur maison ménacée ont été évacué de force par la police et les militaires. Et même après la maitrise du feu, certains habitants sont revenus sur le lieu pour camper sur leur terrain...

Connaissant la puissance du secteur privée au Chili, il y peu à espérer sur l'avenir des habitants des quartiers sinistrés, qui risquent d'être relogés dans des logements encore plus à l'extérieur de la ville. A suivre...

 

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