Kurt Martinson : une disparition dont on se serait bien passé...

Avant de commencer, nous tenions à dire que par principe nous ne traitons normalement pas des faits divers dans le Guanaco Express. Cependant, l'ampleur locale et nationale prise par l'histoire que nous allons vous raconter ici nous a incité à outrepasser ce principe. Plus que le fait, ce sont les conséquences sociales locales qui nous ont intéressé.

 

Voilà maintenant 6 semaines que le moindre poteau, la moindre porte de commerce du village de San Pedro d'Atacama est couvert d'une affichette écrit : "DESAPARECIDO". Celles-ci ont commencé à apparaître quelques jours après l'annonce officielle de la disparition du guide touristique Kurt Martinson. D'abord en noir et blanc, puis en couleurs... L'évolution qualitative de ces affiches est représentative de l'importance prise au fil des jours et des semaines par cette affaire, qu'on le veuille ou non. Récit d'un fait divers aux conséquences relevant de la sociopathologie d'un village (presque) isolé. Un révélateur des faces les plus sombres de notre oasis.

 

Résumé des faits : ce que l'on sait réellement

La famille et les proches de Kurt Martinson sont officiellement sans nouvelle de lui depuis le lundi 24 novembre 2014. Officieusement, ou plutôt d'après des témoignages, le jeune guide originaire de Calama (à 100km de San Pedro d'Atacama) aurait été vu pour la dernière fois le dimanche 23 novembre, ce dernier marchant dans le canyon de Catarpe, à quelques kilomètres au nord du centre de San Pedro d'Atacama.

 

kurt martinson7Le canyon de Catarpe, en bas au premier plan l'Hôtel Alto Atacama (4 kilomètres de San Pedro d'Atacama).

 

L'ALERTE

Le premier élément étrange de cette rocambolesque histoire vient du fait que c'est le chef de Kurt Martinson, responsable des guides de l'hôtel de luxe Alto Atacama où il travaillait, qui a le premier lancé l'alerte quant à la possible disparition de son ex-employé. Une plainte qui intervient seulement 2 jours après qu'il ait été vu pour la dernière fois.

Étrange oui... Car, selon les dires des uns et des autres (le problème est qu'il y a plusieurs versions à ce sujet), Kurt avait été licencié, ou son contrat n'avait pas été renouvelé, quelques jours avant sa disparition... Il n'était donc plus employé de l'hôtel. Alors pourquoi son employeur se serait-il inquiété si vite de ne pas avoir de nouvelle de lui, alors qu'il l'avait licencié il y a peu...? Une question qui aurait pu trouver une réponse simple si ce même responsable de l'Alto Atacama n'avait pas donné successivement 6 versions différentes à la police quant à la situation professionnelle du guide peu avant sa disparition. Les raisons de ce "pseudo-licenciement" ? Un comportement anormal lors d'une ou plusieurs excursions avec des clients qui auraient signalé le problème aux responsables de l'hôtel.

 

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LES ANTÉCÉDENTS PSYCHOLOGIQUES

A propos des antécédents psychologiques de Kurt, là aussi les versions divergent. Pour certains qui le connaissaient, le guide avait des tendances dépressives, et les problèmes de comportement qu'il a eu lors d'excursions seraient dûs à une personnalité instable. Des collègues affirment même qu'il prenait un traitement pour soigner ces troubles. Pour sa mère, point de traitement et pas de problème psychologique connu...

 

CE QUE L'ON A RETROUVÉ

Depuis sa disparition, plusieurs effets personnels du disparu ont été retrouvés : une veste, son porte-feuille avec ses cartes de crédit, et son téléphone portable. Ce dernier aurait été retrouvé, selon les informations contradictoires fournies cette fois-ci par la police, par un touriste à quelques kilomètres au nord de l'hôtel Alto Altacama, ou entre l'hôtel et le centre de San Pedro, ou encore dans le centre même du village. Ce touriste aurait ramené ce portable avec lui à Santiago (la capitale du pays), l'aurait donné à un membre de sa famille qui, voyant le cas de la disparition de Kurt aux informations nationales, aurait rapporté le téléphone à la police locale...

Et là vous vous dites que, à l'image du scénario de "Into the wild", ce jeune homme a organisé sa disparition, laissant dernière lui tout ce qui le rattachait à sa vie passée, matérielle. La version romanesque disons... Peut-être... ou pas.

Le petit plus reste l'étoile à l'intérieur d'un cercle retrouvée dessinée sur le plafond de la chambre de Kurt : enigmatique symbole de vie et de force spirituelle...!

 

* Film de Sean Penn relatant l'histoire vraie d'un jeune nord-américain ayant tout quitté pour partir au fin fond de l'Alaska.

 

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Les informations de la chaîne nationale Canal 13 :
"Disparition de Kurt Martinson. Ils enquêtent sur les antécédents psychologiques."

 

 

L'enquête de police

CE QUE FAIT LA POLICE

Passés les balbutiements des premières semaines, la police locale et la police d'investigation (PDI) ont mis les bouchées doubles : battues tous les jours aux quatre coins des alentours de San Pedro, survol de la zone en hélicoptère,... S'ensuivent des recherches sur les lieux de fêtes illégales, une perquisition à l'hôtel Alto Atacama, un interrogatoire du chef des guides de l'hôtel, et des recherches au domicile du disparu. Les efforts fournis alors par la police sont aussi visibles que le fait divers dans les médias nationaux. Tant mieux... Tant mieux... Sauf qu'il aura fallu plus d'1 mois avant que ces perquisitions soient réalisées ! Même s'il n'y a probablement aucun lien entre l'hotel Alto Atacama et la disparition de Kurt, le fait est que l'hôtel est le dernier lieu connu où Kurt a travaillé, et selon les témoignages, le lieu occupé de manière permanente le plus proche de l'endroit où le guide a été vu pour la dernière fois. Il est fort étonnant que la police ait mis tant de temps avant de se rendre sur ce lieu pour y effectuer des recherches approfondies.

Le cas du téléphone portable est lui aussi intéressant, car à notre connaissance aucune communication officielle n'a été faite sur les possibles informations trouvées dans la mémoire du téléphone, ni même ses dernières localisations connus.

Il y a quelques jours, un procureur de justice a été assigné exclusivement à cette affaire. Et l'on apprend aujourd'hui qu'un hélicoptère et 20 militaires seraient de nouveau mis à disposition pour les recherches des prochains jours...

 

kurt martinson5Perquisition à l'Hôtel Alto Atacama.

 

DYSFONCTIONNEMENT LOCAL 

Le problème dans toute cette histoire se résume en 2 points importants :

- Premièrement, l'impossibilité pour les autorités et la police de communiquer de manière cohérence sur l'avancée de l'enquête, que ce soit vis-à-vis de la famille du disparu, du grand public, ou des habitants de San Pedro.

- Deuxièmement, le manque de dicernement face à la réception de l'information et la crédulité d'une partie de la population de San Pedro quant au moindre commentaire ou blog affirmant des choses sans aucune preuve, créant un bouche à oreille malsain véhiculant toutes les rumeurs possibles et imaginables.

Saupoudrez tout ça d'un peu de "media-spectacle" à l'américo-chilienne, et vous aurez un déferlement de sous-entendus nauséabonts, qui ne reflète en rien le quotidien des habitants et touristes de San Pedro d'Atacama.

 

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Ce qui s'invente dans les ruelles du village ou dans l'univers médiatique

DE PLEIN FOUET DANS LA SOCIOPATHOLOGIE D'UN PETIT VILLAGE

Que ces rumeurs émergent des réseaux sociaux, de blogs, de médias officiels, de simples habitants ou du trou du cul de Lulu (?!?), qu'elles soient motivées par la haine, l'ignorance, le racisme ou l'envie d'exister, le fait est que l'on assiste depuis plusieurs semaines à une avalanche de "vraies-fausses" informations, dénonciations et rancoeurs locales affligeantes. Et à toute bonne rumeur il faut bien sûr des bouc-émissaires... Un sorte de "téléphone bolivien" (qui serait le pendant local du "téléphone arabe") et dont voici quelques uns des thèmes échangés dans les ruelles de San Pedro... 

 

> Le thème de la drogue

La disparition (volontaire ou non), ou la séquestration (comme l'a sous-entendu à un moment la mère de Kurt) ou l'assassinat de Kurt... seraient dûs à un réglement de comptes lié à des histoires de traffic de drogue.

Origine sociale de la rumeur :

- San Pedro d'Atacama est, de part sa situation géographique et ses alentours sauvages et montagneux, un point de passage privilégié par les trafiquants de drogue (majoritairement de cocaïne) entre l'Argentine, la Bolivie et le Chili.

- Plusieurs morts inexpliquées dans le village ont été attribuées "par la population" à ces réglements de comptes liés au commerce de stupéfiants.

- San Pedro est un lieu où il y a de l'argent, des fêtards du monde entier, et une poignée de gens qui gagnent de l'argent avec ce commerce. De quoi attiser les jalousies et les soupçons, fondés ou non...

Contre-exemple :

Vivant depuis 4 ans à San Pedro, je n'ai jamais été confronté de près à ce commerce ou aux gens qui l'organisent. Comme partout, si on ne cherche pas : on ne trouve pas...

Et les bouc-émissaires dans tout ça :

- Les boliviens et les entrepreneurs de San Pedro qui sont "tous des trafiquants".

- Les étrangers et les touristes qui "apportent avec eux leurs vices dans le petit village tranquille".

Et Kurt dans tout ça...?

Dans ce cas, Kurt serait au choix un simple consommateur, un trafiquant, ou aurait été témoin de choses qu'il n'aurait pas dû voir.

 

> Le thème des soirées clandestines

A San Pedro, tous les lieux qui bougent un peu (encore que...) ferment leurs portes à 1 heure du matin (2 heures le week-end). Pas de quoi satisfaire les apétits festifs des touristes et travailleurs locaux (notamment les travailleurs des nombreux restaurants qui terminent justement le travail à cette heure-là et qui aimeraient bien profiter un peu de leur soirée). Au vu et au su de tous (habitants, police, municipalité, ...) sont alors organisées des "clandestinas", autrement dit des soirées clandestines, qui ont lieu dans des quartier annexes au centre ou en plein désert. Ceci arrangeant cela : le centre ville se vide donc des bruyants fêtards et garde son calme nocturne (problème déplacé!).
Le problème est qu'un certain nombre de faits et rumeurs de consommations abusives et de violences circulent autour de ces soirées. Et sans réglementation de ces soirées, difficile d'y voir clair.

Origine sociale de la rumeur :

- Ces soirées dérangent beaucoup de gens à San Pedro parce que :

Ils habitent non loin d'un de ces lieux de fêtes nocturnes

Ils se font tout un film sur ce qu'il s'y passe, parce qu'ils ne connaissent pas.

Ils se rendent compte que les organisateurs de ces soirées gagnent parfois beaucoup d'argent en faisant cela.

- La municipalité de San Pedro envisage en ce moment de donner une autorisation d'ouverture d'une discothèque à San Pedro (en dehors du centre ville).

Contre-exemple :

Ayant récemment été dans une de ces soirées avec un ami, je n'y ai vu ni violence, ni excès extraordinaires, pas plus qu'ailleurs disons... Simplement de la musique et des gens qui veulent faire la fête. Mais j'étais peut-être à la bonne soirée ?

Et les bouc-émissaires dans tout ça :

Bah encore les étrangers et les touristes !

Et Kurt dans tout ça...?

Ici, Kurt aurait eu comme projet d'ouvrir une discothèque dans les alentours de San Pedro d'Atacama, ce qui n'aurait pas plu aux organisateurs des fêtes clandestines qui auraient décidé de le faire "disparaître". Un guide résident depuis seulement quelques mois à San Pedro, avec ni relations connues dans le "milieu", ni l'investissement requis pour une telle entreprise... Très étonnant...

 

> Le thème de la drogue ET des soirées clandestines

Mélangez les deux premiers thèmes et vous aurez une petite idée...

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Perquisition au domicile du disparu (une résidence-auberge).

 

> Le thème de l'incompétence notoire de la police chilienne, ou sa corruption au plus haut niveau

Là bon... Pour avoir épluché la presse par-ci par là sur l'affaire, il faut avouer qu'il y a des choses vraiment curieuses quant à la lenteur de l'enquête et au peu de réactivité de la police, ainsi qu'à sa grosse grosse faille en terme de communication et les contradictions permanentes liées aux simples faits. 

Origine sociale de la rumeur :

- Plus qu'une rumeur, tout ceci semble être un fait pur et simple, au regard des informations contradictoires et de la lenteur de l'enquête.

- Souvent les citoyens ne font pas confiance à la police pour résoudre les faits divers, ni pour être exempte de toute influence extérieure.

- On entend dire depuis quelques semaines "en bruit de fond de village" que lors des recherches effectuées pour retrouver le corps de Kurt, la police aurait retrouvé plusieurs corps cachés dans le canyon, certains ligotés (!?!). Après moultes recherches dans la presse sur internet, je n'ai à ce jour trouvé aucune trace officielle de ces faits. Vrais ou faux ? La police a-t-elle retrouvé des corps et s'est abstenue de le communiquer ? Ou pas...?

Contre-exemple :

- A part quelques contrôles routiers, le flic qui frappe à ma porte à 21h pour savoir si Ricardo vit là (bien renseigné le mec !?!), et la découverte de corps de vigognes braconnées (mais sans les braconneurs...), je vois pas...

Et les bouc-émissaires dans tout ça :

Bah l'Etat chilien... et les étrangers et les touristes !

Et Kurt dans tout ça...?

Et bah à priori il le cherche encore.

 

Bref, il y a "quelque chose de pourri au royaume d'Atacama" et c'est jamais bon quand ça se voit !

 

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