Illustration : William Hodges
L´île de Paques et sa culture ne cesse d'intéresser et d'intriguer les scientifiques du monde entier... Et les mystères les plus étudiés gravitent tous autour des fameux Moaïs de l'île (sculptures rituelles monolithiques et anthropomorphiques qui furent érigées aux quatre coins de l´île).
Nous allons tâcher ici de rassembler les différentes découvertes et théories des scientifiques autour du processus de fabrication et d'instalation finale des Moaïs.
Depuis leur découverte par les explorateurs occidentaux,
l'histoire des Moaïs suscitent toutes les interprétations, des plus sérieuses au plus rocambolesques.
La fabrication des Moaïs
Ici, les scientifiques sont tous plus ou moins d'accord sur la technique utilisée par les pascuans pour fabriquer les Moaïs. La taille se faisait à même la pierre volcanique sur les bords du volcan Rano Raraku (à l'est de l´île). L'outil de prédilection du tailleur était le Toki (biface taillé dans un basalte dense). Contrairement à la "très relative" friabilité de la roche du volcan Rano Raraku dans laquelle étaient scupltés les Moaïs, le toki fait de basalte (ou d'obsidienne) beaucoup plus dur et résistant permettait enlever des bouts de roche par coups successifs et ainsi tailler la forme du Moaï.
Le Toki.
Carrière d'obsidienne sur l'île de Paques.
Reste l'énigme du Moaï d'Orongo (village cérémoniel au sud de l'île), seul Moaï de grande taille connu et taillé entièrement dans le basalte. Celui-ci devait avoir une grande valeur symbolique vu le temps qu'il aurait fallu pour le tailler, sachant que le tailleur devait frapper beaucoup plus fort et beaucoup plus de fois pour arriver à tailler du basalte avec un outil lui aussi en basalte ! Cet unique Moaï de basalte n'est malheureusement plus visible sur l'île mais au British Museum de Londres.
Moaï de basalte Hoa Hakananai'a du British Museum.
Deux découvertes importantes ont permis aux chercheurs de comprendre comment les Moïas étaient sculptés, puis dégagés de leur roche originelle, pour ensuite être embellis de gravures sur leurs deux faces :
- Premièrement, certains Moaïs n'ont jamais été complétement extraits de la carrière. Il est donc facile de comprendre le processus de taille à même la roche. Les pascuans n'extrayaient donc pas un bloc rectangulaire pour ensuite le sculpter en dehors de la carrière, mais taillaient en grande partie la future forme du Moaï à même le cratère.
Moaïs sculptés restés à même la roche.
Au premier plan : visage à droite. Au second plan : visage à gauche.
Photo aérienne de Rano Raraku où l'on distingue les Moaïs sculptés dans la roche.
Photo : John Flenley
- Deuxièmement : Dans cette même carrière de Rano Raraku ont été retrouvés plusieurs Moaïs enterrés en position verticale. On a d'abord cru que ces Moaïs se limitaient à de simples têtes, avant de comprendre que ces derniers étaient en fait des Moaïs entiers dont les corps fûrent naturellement ensevelis sous terre au fil des siècles.
Site de Rano Raraku aujourd'hui.
Le même lieu sous le crayon de Pierre Loti (romancier et officier de Marine français)
Illustration de 1871.
Afin d'attester que ces Moaïs étaient bien entiers, de nombreuses excavations de Moaïs enterrés dans la carrière de Rano Raraku ont été effectuées au fil du XXème siècle. Tout d'abord afin d'attester que ces Moaïs étaient bien entiers, puis pour en étudier les parties ensevelies.
La première excavation connue est réalisée par Katherine Routledge lors d'une expédition sur l´île en 1914-1915.
Une autre excavation est dirigée dans les années 50 par Thor Heyerdahl (archéologue et navigateur norvégien rendu célèbre notamment par son expédition Kon-Tiki en 1947, durant laquelle il traversa le pacifique depuis les côtes péruviennes et rallia l'île de Pâques sur un bateau de fabrication traditionnelle. Il souhaitait ainsi démontrer sa théorie du peuplement du pacifique depuis le continent sud américain. Théorie aujourd'hui contredite par les découvertes archéologiques).
Excavation par l'équipe de Thor Heyerdahl.
Par la suite, une équipe de volontaires entreprendront en 2010 et 2011, sous la direction de Jo Anne Van Tilburg et Cristián Arévalo Pakarati, de nouvelles excavations de Moaïs enterrés. Ce seront finalement 90 Moaïs qui seront excavés afin notamment d'en étudier les gravures dorsales extrêmement bien conservées du fait de leur non exposition à l'air libre. Ces Moaïs seront par la suite réenterrés.
Résumé des étapes de fabrication :
Taille du Moaï à même la roche du cratère de Rano Raraku. | |
|
Détachement du Moaï de sa roche originelle. |
![]() |
Glissade du Moaï sur la pente du cratère... |
|
... pour arriver dans un trou préalablement creusé pour l'accueillir. |
|
Finition et gravures sur la partie dorsale du Moaï. |
Animation flash (cliquez sur "entrar" pour commencer) / Source : www.educarchile.cl
L'on connait par ailleurs la principale carrière de fabrication des coiffes (Pukao) ajoutées sur certains Moaïs : Puna Pau (dans la partie ouest de l´île).
Carrière de Puna Pau.
Si l'on en sait beaucoup aujourd'hui sur les différentes étapes de fabrication des Moaïs, le déplacement de ces derniers restent encore énigmatique. En effet, comment les pascuans ont pu transporter ces statues géantes d'un poids allant jusqu'à 80 tonnes, et ce sur parfois plus de 15km. Le Moaï le plus grand jamais érigé (Moaï Te Paro à Te Pito Kura), mesure 12 mètres de haut et a été déplacé sur plus de 5 km !
Quelques unes des distances parcourues par les Moaïs (à vol d'oiseau).
CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR L'AGRANDIR.
Le déplacement des Moaïs
Les chemins du Moaï
Avant même d'essayer de comprendre comment les Moaïs étaient déplacés, la première découverte d'importance fut faite par Katherine Routledge (encore elle...). Elle fût en effet la première lors de son expédition de 1914-1915 à découvrir le tracé des anciens chemins de l´île en visitant le site de Rano Raraku. Elle en déduit qu'ils étaient utilisés pour acheminer les Moaïs depuis la carrière vers leurs lieux d'implantation définitifs.
On découvrit par ailleurs le long de ces larges chemins de nombreux Moaïs couchés. Ceci renforçant la thèse d'un acheminement des Moaïs par ces chemins partant de Rano Raraku. Les Moaïs retrouvés sur les bords des chemins auraient été abandonnés là. Un certain nombre de ces Moaïs étaient fendus (généralement au niveau de la jonction entre le corps et la tête, partie la plus sensible de la statue).
Certains de ces Moaïs abandonnés et cassés ont été retrouvés à quelques dizaines de mètres de leur plate-forme finale. Imaginez que, d'après les expériences empiriques des chercheurs, il aurait fallu à 10 personnes 5-6 mois pour tailler un Moaï de 1 à 2 mètres et une année entière pour un Moaï de 10 mètres. Après tant d'effort, il fallait donc un moyen de transport assez sûr pour ne pas risquer de détruire la sculpture ! Or on estime que 1 Moaï sur 3 n'arrivait jamais à des tination... Imginez la déception des sculpteurs voyant leur oeuvre brisée sur place. Et lorsqu'ils apprennaient que le commanditaire souhaitait que soit à nouveau sculpté et transporté un Moaï pour remplacer celui cassé !
Moaï abandonné en chemin, aujourd'hui envahi par la végétation.
Contrairement aux Moaïs retrouvés couchés sur leur Ahu (la plate-forme cérémonielle sur laquelle ils étaient érigés), et qui ont été pour certains fauchés par les vagues du Pacifique ou fragilisés par des tremblements de terre, et pour d'autres mis à terre leur de conflits locaux, les Moaïs couchés retrouvés au bord des chemins ne semblent jamais avoir été érigés. En effet, les orbites de leurs yeux ne sont pas complètement terminés de tailler et ne sont pas prêts à accueillir l'oeil final dont disposaient les Moaïs sur leur plate-forme. On sait aujourd'hui que l'installation des yeux était la toute dernière finition qu'effectuaient les sculpteurs sur la statue, lui conférant finalement toute sa puissance spirituelle.
Le déplacement du Moaï.
Voici en quelques mots et en images les différentes théories et les scientifiques qui les défendent.
- Thor Heyerdahl (archéologue et navigateur norvégien, années 50)
Première théorie défendue par Thor Heyerdahl, consistant à mettre le Moaï sur un traineau et le tirer sur les "chemins des Moaïs" à l'aide de cordes.
William Mulloy (Anthropologue nord américain, années 70) :
Sa méthode repose sur l'usage de deux grands poteaux unis en V, attachés au cou du Moaï et un traîneau incurvé en dôme de Y pour protéger le ventre de la statue qui repose sur le ventre. En bougeant vers l'avant des poteaux et en tirant les cordes, le Moaï pouvait être traîné en profitant du balancement produit par la courbe du support.
Schémas de la théorie de William Mulloy :
CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR L'AGRANDIR
- Thor Heyerdahl (archéologue et navigateur norvégien)
et Pavel Pavel (chercheur-ingénieur tchèque), fin années 80 :
Après avoir développé sa propre méthode de déplacement sur une statue de béton de 12 tonnes avec des amis à Strakonice (sa ville natale), le jeune ingénieur Pavel Pavel (moins de 30 ans) est invité à l'île de Pâques en 1985 par Thor Heyerdahl pour y tester sa technique. La méthode s'inspire de la tradition orale qui raconte comment le Moaï "marchait" jusqu'au lieu de destination. Assurant qu'un Moaï debout est relativement stable par le fait que son centre de gravité est bas. Deux équipes d'hommes tirent en rythme sur le Moaï pour le faire chanceler d'un côté, puis de l'autre... Les tests effectués sur place sont un succès.
- Charles Love (Géologue nord américain, fin années 80) :
Sa méthode consiste à mettre le Moaï debout sur un traîneau qui, tirer à l'aide de cordes, avance sur des rondins de bois. Les Polynésiens utilisaient surtout les rondins de bois pour déplacer de lourdes charges, la même méthode aurait-elle été utilisée sur l'île de Pâques pour déplacer les Moaïs comme le suggère cette théorie ?
- Jo Anne Van Tilburg (archéologue nord américaine, 1998) :
|
|
Sa méthode s'inspire de celle de Love. Sur un traîneau de troncs d'arbres le Moaï repose sur le dos ou sur le ventre et il avance sur des rondins de bois, tiré par une corde. 50 à 70 personnes tractant le traineau en synchronisation pouvaient déplacer un Moaï de près de 12 tonnes, sur une distance de 14 km ½, en moins d'une semaine (à raison de 5 heures/jour de travail).
Le gros avantage de cette technique est le côté sécurisé. En effet, on ne risque pas d'abimer le Moaï en cours de route... L'inconvénient reste l'usage important de rondin de bois sur une île qui a forcément des ressources limités. C'est d'ailleurs le point de départ d'une théorie voulant expliquer la déforestation de l´île...
Terry Hunt et Carl Lipo (chercheurs nord américains, 2011) :
Dernière théorie en date et testée sur le terrain. Elle s'inspire également de la tradition orale véhiculée par les pascuans encore aujourd'hui disant que le Moaï marchait jusqu'à son lieu d'installation. Vulgairement appelés la théorie du "déplacement de frigo", on fait avancer un objet massif en le balançant d'un côté, puis de l'autre, avec 3 équipes d'hommes. Cette technique est dérivée de celle testée pour la première fois dans les années 80 par Pavel Pavel et Heyerdahl.
La preuve en images...

Même si cette technique est aujourd'hui la plus connu et la plus étudiée, elle n'en est pas moins critiquée. L'avantage de cette technique est qu'elle fait écho à la tradition orale rapanui du "Moaï qui marche", ce qui lui donne une légitimisation culturelle importante, et également que cette technique est rapide et visuellement spectaculaire : le Moaï se déplaçant à environ 1,35 km/h (0,5 km/h pour la technique du traineau de Jo Anne Van Tilburg).
Le seul hic est la dangerosité de la méthode et de la possible chute et destruction du Moaï tombant de tout son long. Il est étonnant qu'après plusieurs mois de travail sur un Moaï les pascuans se risquaient à le détruire pendant le transport. Mais comme l'on a retrouvé beaucoup de Moaïs abandonnés et brisés en chemin, cela pourrait s'avérer finalement crédible qu'ils aient été transportés en position debout.
La mise sur pied des Moaïs
Là aussi, plusieurs théories se confrontent... Parmi lesquelles celles de James Mulloy (plus ou moins partagée également par Thor Heyerdahl) et celle de Jo anne Van Tilburg.
Et si la technique de transport utilisée est celle de Pavel Pavel ou de Terry Hunt et Carl Lipo (soit en position debout), plus besoin de relever le Moaï sur son point d'installation final. Reste à comprendre comment montait-il sur sa plate-forme (mesurant parfois plusieurs mètres de haut) ?! A l'aide de cordages ? Ou en le faisant marcher sur une pente extrêmement douce pour ne pas déséquilibrer le centre de gravité du Moaï debout ?
Érection du Moaï Ahu Ature Huki en 18 jours dans la baie d'Anakena, par Thor Heyerdahl (1955).
Théorie de Mulloy illustrée jusqu'à la mise sur pied du Moaï.
CLIQUEZ SUR L'IMAGE POUR L'AGRANDIR.
La version Jo anne Van Tilburg...
Reste la question de la coiffe des Moaïs (Pukao) : était-elle installée avant ou après la mise sur pied du Moaï ? Et là, le mystère reste entier...
Site restauré d'Anakena.
Le Moaï enfin arrivé à destination...
A : Rampe inclinée de la plateforme qui s'étend jusqu'à la place. Elle est pavée de Poro (galets marins).
B : La plateforme centrale, considérée comme le lieu le plus sacré de l'Ahu, supporte de 1 à 15 statues.
C : Le Moaï, statue en mémoire des ancêtres, taillée dans du tuf volcanique de Rano Raraku.
D : Le Punga, la partie blanche de l'oeil fait en corail blanc, et le Hani Hani, l'iris taillé en scorie rouge.
E : Le Pukao, coiffure fait en scorie rouge taillé dans la carrière du volcan Puna Pau.
(Source : leblancworldtour.over-blog.com)
Une des versions possibles, mais peu plausible
(sauf pour les chiliens, grands amateurs d'histoire d'OVNI...)
La mise sur pied des Moaïs version japonaise !
(Rénovation du site de Tongariki et ses 15 Moaïs, début années 90)
5 années de travail sous la direction de Claudio Cristino et Patricia Vargas.
Projet financé par l'entreprise de vente de grues japonaise Tadano et l'Etat japonais.
Site de Tongariki restauré.
Les Moaïs en chiffre :
887 Moaïs récensés.
288 Moaïs transportés et érigés sur l'île.
397 Moaïs restés dans la carrière.
92 Moaïs abandonnés en cours de transport.
Entre 10 et 15 Moaïs en exil (Dont ceux exposés dans des Musées : 7 en Europe, 1 au Chili continental, 1 en Nouvelle Zélande).
Moaï érigé le plus grand : 12 mètres et près de 80 tonnes.
Moaï le plus grand (jamais érigé) : 21,6 mètres et 170 tonnes estimées.
BONUS :
Le reportage complet du National Geographic sur les différentes théories de déplacement des Moaïs.
Merci aux multiples sources trouvées ici et là sur le web et que vous retrouverez facilement avec les mots clefs de cet article.
>> Lire nos autres articles sur Rapanui par ici.